PARTICULARITÉS DE LA CHARPENTE
ANALYSE ARCHITECTURALE des CHARPENTES ET TOITURES
Cette étude est issue du mémoire de Mr Daniel Lefèvre présenté en 1987 pour son concours d’Architecte en Chef des Monuments Historiques. Nous avons seulement retenu dans ce chapitre, la spécificité architecturale de l’édifice, ainsi que le descriptif des charpentes et toitures (onglet disponible pour plus de détails) particulièrement détaillé,
Avec la photo (vue du ciel) nous pouvons mieux expliquer ces spécificités ou particularités. La construction de l’édifice s’étale du XIème au XVIème siècle et comporte 4 charpentes (ou couverture de comble), un clocher et une tour.
La couverture de la nef Sud et de son clocher est en ardoises, les 3 autres sont en tuiles, la tour est couverte en pierres.
Les charpentes des trois nefs sont parallèles - toutefois une particularité : une partie de la nef Nord en son extrémité est perpendiculaire.
L'église saint MARTIN de L'AIGLE bien que constituée de parties très différentes garde un volume général équilibré et harmonieux.
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Nous reprenons partiellement l'analyse de ces différents éléments dans l'ordre chronologique de leur construction.
Les parties les plus anciennes de cet édifice sont la tour Sud-Ouest dite tour de l'horloge (ou clocher) et l'abside, vers le XIème siècle. Bien que rien ne nous permette de l'affirmer. Nous sommes à l'époque romane. Cette tour est couronnée d'une flèche octogonale assez fine interrompue à mi-hauteur par une galerie ouverte où se trouvent deux petites cloches, et le cadran de l’horloge. Cette flèche a été diminuée en 1725. L'intérieur de cette tour a été modifié pour servir de chapelle des fonts baptismaux. En 1936, l'arcade qui ouvre cette chapelle vers le bas-côté Sud a été percée dans le style roman.
L'abside (à l’opposé du clocher) est également construite en grison. Elle est flanquée de deux contreforts à ressauts dont la partie supérieure a été refaite en 1912.
Au XIIème siècle, entre l'abside et la tour de l'horloge, s'étendait la nef, sans doute plus étroite qu'actuellement. Deux éléments peuvent en témoigner : le décrochement sensible du mur au droit de l'abside derrière le retable, et le bûchement très important de la base de la tour romane.
La charpente à chevrons portant ferme (descente de charge diffuse), lambrissée, à faîtage et sous faîtage, ne doit pas être dans son ensemble, antérieure au XVème siècle. Son agencement, la mouluration des poinçons coupés et le profil des couvre joints nous le prouve.
La partie située au-dessus de la tribune d'orgue présente des caractères légèrement différents: double sous faîtage moisant les entraits retroussés, profil des couvre-joints plus vif. Cette différence s'explique par la réfection totale de cette partie de charpente lors de la construction de la grande tour. Il faut noter ici des traces qui pourraient être une disposition très ancienne de la couverture de cette nef.
Près de la tour de l'horloge, nous apercevons les vestiges d'un fond de chéneau en bois constitué d'une poutre évidée qui recueillait les eaux du toit le long de cette tour et, sur la charpente, des traces de couverture en planches de sapin biseautées et posées au clou de fer forgé. Leur faible érosion s'expliquerait par la construction de la besace qui en assura dès lors la protection. L'hypothèse de cette disposition originale est confirmée par un texte du 30 Décembre 1577 : « la confrérie Saint PORCIEN versait à CLAUDE MUE, Menuisier: … »
Par rapprochement avec le terme talluage employé fréquemment en NORMANDIE pour désigner un bardage constitué de planches posées à clin, cette expression pourrait désigner des planches posées à recouvrement destinées à couvrir une toiture comme celle-ci, expliquant la proportion de clous par rapport au nombre de planches. La région de L'AIGLE était couverte dès cette époque d'une forêt de sapins dont la variété "sapin de L'AIGLE" qui a survécu jusqu'à nos jours est semblable au sapin de montagne.
La couverture de l'abside semi-circulaire était assurément réalisée en bardeaux posés sur un voligeage courbé; un marché de 1814 nous précise la fourniture et la pose de bardeaux et de "ganivelles". Les ganivelles étant les planches de tonneaux, ce terme pourrait fort bien s'appliquer à un voligeage courbe.
LA NEF NORD : LA CHAPELLE DITE DU ROSAIRE
En 1425, à nouveau les travaux d'agrandissement sont engagés. D'abord vers le Nord près de l'abside où l'on construit une chapelle qui forme aujourd'hui la dernière travée du bas-côté Nord, très certainement pour honorer le culte de la Vierge, la tradition confirme cette consécration.
Avant la construction des deux autres travées du bas-côté Nord, elle était indépendante et fermée côté Ouest. Le faîtage de son comble perpendiculaire à la nef, la corniche qui apparait dans le comble du bas-côté septentrional (Nord) et la présence du contrefort biais inclus dans le mur gouttereau le prouve, ainsi que la légère inclinaison de ce mur en plan.
La charpente de cette chapelle est à fermes et à pannes et n'a pas été modifiée. La répartition de charge est ponctuelle. La longueur et la qualité des bois qui la composent, leur parfait équarrissage, leur assemblage rigoureux, leur chanfreinage sont autant d'éléments qui confirment son authenticité et son ancienneté. L'analyse par dendrochronologie d'une section d'échantignole ayant conservé son écorce prouvant aussi que l'arbre avait été utilisé vert, nous permet de la dater précisément de 1426.
En 1494, les travaux de construction du bas-côté Nord et de la grande tour étaient commencés. C'est à ce moment que l'on a ouvert la chapelle du Rosaire sur son flanc Ouest pour en faire la travée du bas-côté. Les deux nouvelles travées sont aussi voûtées sur croisée d'ogives dont les clefs ont été bûchées.
Sur les deux travées qui jouxtent la grande tour, le faîtage du comble est parallèle à celui de la nef centrale et vient buter sur la face Est de la tour en masquant sur celle-ci une fausse fenêtre à meneaux. Ce n'est certainement pas la disposition prévue à l'origine puisque cette fenêtre à un appui destiné à être vu et que des traces d'un chêneau encastré en porte à faux sur le mur de la grande tour est visible dans le comble.
LA GRANDE TOUR
Au bout du bas-côté Nord, en façade occidentale (Ouest) de l'église, la grande tour s'élève, dominant de sa masse l'ensemble de l'église. La tour de St Martin de l'Aigle est de plan carré maintenue aux angles par des doubles contreforts très puissants et flanqués à son angle d'une tourelle d'escalier.
Les murs du rez-de-chaussée et du premier étage, séparés par des larmiers, sont construits en grès très soigneusement appareillé pour leur parement extérieur et en silex pour le reste de leur épaisseur.
Le parement extérieur du deuxième étage est en calcaire.
La balustrade elle-même est décorée tantôt de réseaux flamboyants aveugles et à jours, tantôt de consoles renversées, de cornes d'abondances et d'angelots qui indiquent que ce décor a été réalisé au début du XVIème siècle. La présence d'oves et de rais de cœur principalement sur la face Sud confirme cette datation malgré l'achèvement du gros œuvre, vraisemblablement dès 1498, date à laquelle on y a placé la cloche appelée "PORCIENNE".
Les contreforts sont eux -mêmes très ornés de gâbles et de crochets. Sur chacun d'eux, une statue est posée sur des socles de formes variées et très décorés. Elles sont surmontées de grands dais eux-mêmes très refouillés. Les pinacles qui surmontent les contreforts ont été grandement restaurés vers 1900, ainsi d'ailleurs que la course de feuillages qui court à la base de la balustrade. En tête de certaines allèges, on peut noter la présence d'engoulant, motifs très fréquents dans la charpenterie, art très développé en NORMANDIE à cette époque.
La tourelle d'escalier construite en même temps, de plan octogonal, est elle aussi très décorée de multiples gâbles, réseaux et crochets. La course de feuillage du sommet de la tour se poursuit sur cette tourelle, comme pour l'y retenir.
Chaque angle est souligné par de petits contreforts décorés. Son couronnement, démoli en 1909, remplacé par un petit toit en zinc, a été restitué en 1950. Des statues se dressent sur chaque face de la tourelle, à la même hauteur que celles de la tour.
Toute la statuaire de la tour de Saint MARTIN de L'AIGLE s'inspire de celle de la MADELEINE de VERNEUIL et provient vraisemblablement du même atelier. Ces drapés sont compliqués et très profondément taillés pour être vus de loin.
Cette tour était certainement destinée à recevoir un couronnement en pierre à l'image de ceux de VERNEUIL ou de ROUEN ; des départs de nervures à la base du comble en témoignent. La toiture d’ardoises en pavillon qui la surmonte actuellement est cependant une disposition forte ancienne, car il semble que ce couronnement en pierre n'ait jamais été réalisé. La forme des lucarnes, les traces de peinture sur plomb qui y étaient encore visibles en 1840 et l'agencement de ses épis sont autant d'éléments qui laissent supposer l'authenticité de cette toiture.
Cette toiture en "fer de hache" est surmontée de deux statues recouvertes de plomb qui couronnent les deux poinçons. Au centre, une tige métallique à feuillage en gerbe supporte l'aigle, emblème de la ville.
A l'intérieur, un énorme beffroi dont l'assise se fait à un niveau très bas dans la tour afin de n'en pas ébranler les parties hautes. Trois cloches y sont installées, "la PORCIENNE" datée de 1498, et deux Ré-contes dont un Si Bémol de 2.650 kg. Le beffroi a été conforté vers 1920.
LA NEF SUD
Nous avons vu que rien ne permettait de prouver la présence d'un bas-côté au Sud de la nef avant le XVIème siècle. C’est à cette époque que l'on entreprend les travaux d'agrandissement de l'église vers le Sud.
Le mur Sud de la nef fut alors repris en sous-œuvre pour créer les trois grandes arcades ouvrant ce nouveau bas-côté sur la nef.
Le bas-côté Sud reçoit un comble couvert d'ardoises. Cette charpente peut dater du XVIème siècle, sa forte pente est destinée à donner de l'ampleur à l'église côté place, en effet, malgré l'étroitesse du bas-côté qu'elle couvre, elle masque les autres combles de l'église. Elle a certainement toujours été couverte d'ardoises. Il faut noter une disposition assez originale de ce comble dont les fermes triangulaires sont surélevées par rapport au niveau de la corniche d'environ 1,50m. D'autre part, la sablière haute ainsi disposée est chanfreinée et tous les chevrons anciens s'arrêtaient à cette hauteur.
Ceci est prouvé par l'embout des chevrons anciens découpés pour former un décor. La partie verticale entre sablière haute et basse semble cependant n'avoir jamais reçu de bardage. Cette disposition de toiture en retrait était-elle destinée à dégager l'espace d'un chéneau ? Existait-il une balustrade au-dessus de la corniche ? Aucune trace ne permet de confirmer ces hypothèses.
Cette balustrade n'a très certainement jamais été construite. C'est ici que nous devons poser le problème des trous de boulin répartis régulièrement tout en haut de la façade et n'ayant à ce titre aucune fonction constructive. D'autre part la corniche est à plusieurs endroits entaillée grossièrement jusque sous les sablières. Ces deux dispositions toutes particulières permettent d'imaginer la mise en état de défense de la façade Sud par la construction de hourds. Ceci est d'autant plus plausible que l'achèvement de ce bas-côté Sud coïncide avec la période où les guerres de religion font rage dans le pays d'Ouche.
Dès 1563 la ville de L'AIGLE est saccagée par le vicomte de DREUX. En 1567,1'église est profanée. Cette situation défensive pourrait alors expliquer les très nombreuses traces de passage de corde lisibles sur la corniche: montage à la hâte de projectiles ou de vivres ?
Le calme revenu on abandonne alors le projet de balustrade et on ajoute un grand coyau pour protéger les dais finement sculptés.

